Entretien du Lundi - Daniel Costantini : « une distinction réservée aux gens qui sont partis. »
Pour vous rendre à la Maison du Handball, demandez la rue Daniel Costantini. Une adresse unique, s’il en est ! Le premier entraîneur double champion du monde avec les Bleus réagit à cet honneur et il évoque aussi l’actualité du Handball qui est toujours un peu la sienne.
Quelle a été ton impression lorsque tu as découvert la Maison du Handball ?
Au printemps dernier, j’avais mis un casque et des bottes pour visiter le chantier qui avait déjà de l’allure. J’avais été impressionné. C’était certes un peu virtuel mais dans le cadre d’une collaboration avec le couple Nicaise sur la muséologie de la Maison du Handball, j’ai eu le plaisir d’être impliqué. Je l’ai découverte terminée, tout récemment, à la fin du mois d’août, pour la présentation de la LFH. Je suis entré dans un bâtiment dont je n’avais jamais rêvé, imaginé. Et au sens vulgaire du terme, cette Maison du Handball a vraiment de la gueule. Je suppose que les entraîneurs nationaux y trouveront leur compte. Olivier Kumbholz va prochainement essuyer les plâtres, si j’ose dire, car tout n’est pas totalement terminé. Il nous dira tout le plaisir qu’il aura eu à bénéficier de cet outil pour préparer l’Euro.
As-tu suivi la genèse du projet ?
Je n’avais jamais rêvé à un tel ouvrage. Même lorsque nous avons commencé à gagner, je ne pensais pas que les moyens de la fédération permettraient de mobiliser de tels fonds. Le premier projet concernant une implantation à Colombes auquel je n’étais pas favorable car trop excentré et trop connecté Racing Métro 92. De plus cela correspondait à une époque où j’avais une relation épidermique avec la fédération. Je venais de me retirer des affaires. Lorsque le projet a capoté, je suis retombé sur mes pieds. Joël Delplanque a repris les choses en main et j’ai vécu le projet, par personne interposée, au travers de ma compagne qui travaille à la fédération. Il y a quelques années, j’avais présidé la commission sur les grandes salles et je n’étais donc pas un béotien sur un tel dossier. Joël Delplanque a réussi ce projet avec un montage financier exceptionnel. De plus, cet équilibre des parties prenantes ne met pas en péril le budget de la fédération par rapport à ses fonds propres.
Qu’as-tu ressenti lorsque tu as appris que l’adresse de la Maison du Handball te serait dédiée ?
Lors que le président m’a appelé, au printemps dernier, j’étais en vadrouille sur le quai d’une gare de province, là où mon activité de consultant me transporte encore de temps en temps. « Bonjour Daniel, c’est Joël. » De but en blanc, il me lance : « accepterais-tu que ton nom soit donné à la rue qui va accueillir la Maison du Handball ? » Heureusement que j’ai encore un peu la capacité à me tenir en bon équilibre… J’étais très grandement surpris car je ne pensais pas que nos relations étaient au beau fixe. Je suis plutôt quelqu’un de pudique et je m’accorde généralement un peu de temps pour répondre mais avant même la fin de sa phrase, j’ai dit « oui ».
Parce que c’est un honneur, une telle reconnaissance qu’elle ne justifie pas de réflexion ?
Je n’avais jamais rêvé ou pensé à cela. Bien sûr, Joël a pris des précautions oratoires en m’indiquant qu’il fallait d’abord que le bureau directeur de la fédération valide sa proposition puis que le Conseil Municipal de la ville de Créteil se prononce. J’ai toujours entretenu de bons rapports avec Mr Laurent Cathala qui est tellement passionné par le cyclisme que j’ai pensé qu’il voudrait dédier cette nouvelle rue à Laurent Fignon, un illustre cristolien. Finalement, je crois que le conseil municipal a voté à l’unanimité la proposition de la fédération. Des gymnases à mon nom, il y en existe deux ou trois mais là, c’est autre chose. C’est une distinction qu’on réserve aux gens qui sont partis.
Au début de l’été, avant de disputer l’Euro U20, Yohann Delattre indiquait ne pas apprécier le jeu en surnombre, qui selon lui « dénature le Handball. » Quelle est ton appréciation ?
Lorsque cette nouvelle règle a été mise en place, au moment des J.O. de Rio, je pense que le duo Onesta-Dinart n’avait pas suffisamment travaillé dans ce registre, au contraire de nos adversaires scandinaves. Les techniciens français ont pris un peu de retard. Ce n’est pas surprenant car nous avons toujours eu quelques complexes de la langue allemande qui est depuis longtemps la langue du Handball. Quand on essaie de traduire les règlements, on passe de l’allemand à l’anglais puis au français. Nous les Français, sommes pas assez présents dans les commissions de l’IHF. J’avais une certaine crédibilité dans le domaine et j’aurais dû m’investir dans ces instances.
Alors, le surnombre, cela dénature le jeu ou bien ?
Sur cette question, il ne faut pas essayer de me faire dire que je suis un supporter ou un opposant. Je ne suis ni l’un, ni l’autre. Dans le Handball d’avant, je ne supportais pas la sortie d’un gardien remplacée par un joueur affublé d’une loque informe et qui serait susceptible d’aller dans les buts. Mise en place à la fin des années 90, cette règle était d’un ridicule avéré.
Mais face à la Hongrie qui avait mal géré l’utilisation de la chasuble, la clairvoyance et le talent d’Andrej Golic avaient mis la France sur la voie des J.O. de Sydney…
Oui, c’était à Port-Saïd sur le Mondial 1999 et j’ai la reconnaissance du ventre ! Je crois que la transformation culturelle la plus importante est l’engagement rapide. Tout ce qui met le Handball en mouvement est intéressant. Pour les entraîneurs, il s’agit d’utiliser les avantages et de limiter les inconvénients.
Le Handball est plus rapide avec le surnombre, l’engagement rapide mais les arbitres, eux, sont toujours deux…
Avec l’engagement rapide, le jeu est énormément accéléré. C’est assez impressionnant à quel point le morphotype des arbitres a changé. Auparavant, des quinquas un peu lourds et lents officiaient avec leur expérience, leur lecture du jeu et leur science du compromis. Aujourd’hui, cela n’a plus lieu d’être. Je fais remarquer une des problématiques actuelles : la tendance naturelle des deux arbitres est de regarder la même chose. Celui qui est sur le champ et qui suit le ballon et celui, « dit de zone » qui regarde tout ce qui passe à 6m. Gérer le nombre de joueurs sur le terrain, c’est leur confier ce qui se passe dans leur dos. C’est mission impossible.
Alors faut-il en ajouter un troisième ?
Pour le moment, il y a seulement deux arbitres. La CCA de la FFHandball essaie de faire en sorte que les arbitres soient le plus aidés possibles avec un délégué technique qui permet de mieux répartir les tâches, notamment sur les changements. Peut-être que les outils vidéo de la Maison du Handball aideront à se pencher sur le nombre de changements et leurs conditions réglementaires. Pour rebondir sur le propos de Yohann Delattre, pourquoi ne pas trouver des gardiens susceptibles de jouer dans le champ ? Un gardien tel que Dragan Mladenovic (champion olympique 84 et du monde 86) avait cette capacité. Cléopatre Darleux est également animée par ce tempérament. Personne ne travaille en ce sens et, sans faire injure à mes successeurs, nous sommes les meilleurs du monde et il faut faire preuve de curiosité technique.
Didier Dinart (seniors), Yohann Delattre (U21) et Éric Quintin (U19) : ces trois coaches ont joué en équipe de France sous ta direction. Peut-on parler de filiation ?
On ne peut pas parler de filiation. Je constate, au travers de différents articles, que les joueurs ne sont pas toujours prompts à évoquer les origines de leur relation avec moi. La filiation avec Éric paraît plus naturelle car je l’ai eu comme élève en classe de seconde en sport-études et je connaissais ses parents.
Et d’autres joueurs qui sont aujourd’hui entraîneurs ?
Philippe Gardent, qui a été capitaine de l’équipe de France, a toujours été compliqué à entraîner. La relation entraîneur-entrainé n’était pas simple avec lui. Je me souviens qu’il avait dit lors d’une interview : « Moi entraineur ? Jamais », arguant qu’il ne voulait pas seulement vivre pour le Handball, être obsédé comme Daniel Costantini. Et le premier qui a eu l’opportunité de basculer, c’est lui. Il a quitté l’OM Vitrolles pour entraîner Chambéry. Il se revendique plus du travail de Mile Isakovic avec lequel il a été champion et remporté la coupe d’Europe.
Beaucoup disaient que jamais ils ne seraient entraineurs et ils le sont devenus. Ils ne s’en sortent pas trop mal et forcément il y a une petite part qui m’appartient un peu, j’en suis plutôt fier qu’il ait eu à subir mon influence didactique et pédagogique. Me concernant, je dois à Jean-Pierre Lacoux, qui était initialement dans ce métier, la noblesse de la fonction d’entraîneur. Il m’a fait aimer ce métier.
À propos du métier d’entraîneur, la polémique qui agite actuellement les éventuelles suppressions de postes de CTS démontre la fragilité de l’activité…
Je récite ce qu’a déclaré Philippe Bana. Les premières attaques remontent à 1996 lorsque Jacques Chirac était président et Guy Drut, ministre des sports, qui avait déjà remis en cause le statut des CTS. Nous avions mis en place une sorte de manifestation qui s’était illustrée lors de la cérémonie d’ouverture à Atlanta. Au premier rang de la délégation française, figuraient des cadres techniques et j’étais l’un d’eux. Alain Mouchel était aussi très impliqué.
La sécurité de l’emploi est un avantage précieux dans un sport comme le nôtre. Les choses se sont ensuite tassées mais aujourd’hui le gouvernement de Mr Philippe revient avec la même interrogation. Cela ne me choque pas d’imaginer que des gens en charge de l’État s’interrogent. Mais en même temps, 1600 CTS, c’est un tout petit contingent sur la masse d’agents publics.
Tu as annoncé dans les colonnes du magazine Handaction l’arrêt de ta chronique et de ton rôle de consultant pour le groupe RMC Sport. Pourquoi ce double arrêt ?
J’ai pris la décision car j’ai estimé que RMC SPORT m’avait fait un coup fourré au cours de la saison dernière. Aucun des responsables n’a assumé de m’enlever les commentaires de la coupe EHF après les avoir confiés à Christophe Mazel. J’ai peut-être un orgueil mal placé mais je collaborais avec ce média depuis 2005. J’ai aussi décidé d’arrêter avec le magazine Handaction, une collaboration sous le sceau du bénévolat. J’ai fait un peu de peine à Rodolphe Tréhet, le rédacteur en chef.
Source : Fédération Française de Handball