BUSSELIER, NATURALISÉ SAVOYARD par Laurent MOISSET
Laurent Busselier n’a jamais eu peur d’affronter la vérité. Il fait partie de ces gens -rares- capables d’un autoportrait qui se voudrait fidèle à sa personnalité plutôt qu’ajusté au courant en vogue de l’autosatisfaction. A l’heure où la communication lisse l’image, l’ancien capitaine de Chambéry n’hésite pas à montrer les aspérités de son personnage. Il était doué sur le terrain à son poste d’ailier gauche ou de demi -centre, fantasque en dehors.
« J’ai brûlé la chandelle par les deux bouts. Quand tu es jeune, que tu as deux trois sous, forcément tu t’emballes et tu peux aussi te prendre pour un autre. Même pro, à mon époque, le crédo c’était : vivre et jouer. » La réputation, très tôt, s’est accrochée à son maillot. Ses frasques à Montpellier avec Jérôme Fernandez, son colocataire, ont même conduit Patrice Canayer à le sortir du jeu. « Patrice, il a joué avec mon père qui l’a même entraîné. Je le connais depuis tout môme et il a, bien entendu, pris la bonne décision. »
Vivre plutôt que jouer, une règle longtemps en vigueur qui lui a, probablement, coûté quelques revers sportifs, mais n’a, en revanche, jamais atteint et touché ses certitudes sur le genre humain. « Mes amis sont les mêmes qu’au début. Jérôme Fernandez, Mickaël Grossmann, Moretti, Daniel Narcisse, Xavier Barachet. La vie, ma vie, ce sont toutes ces rencontres, le cœur de ma passion. »
Laurent Busselier ne s’est pas caché sous le vernis du professionnalisme, d’une carrière à gérer comme on dit maintenant. Il est resté lui-même, d’abord attentif, curieux de son voisin, soucieux de mettre à l’aise et en confiance ses partenaires. Quand Xavier Barachet a débarqué, à 18 ans, en Savoie, c’est chez « Bubu » qu’il s’est réfugié. « Il a passé du temps à la maison. Bon, comme moi, il est Niçois. Et puis il venait de perdre sa maman. Xavier c’est mon fiston. On a tissé des liens qui restent forts aujourd’hui. »
Bon vivant, bon samaritain, il a surtout joué pour les autres répandant, au fil du temps, une vague de chaleur bienveillante et rassurante dans son entourage. Alain Poncet, son président, en mesure plus que tout autre, les effets aujourd’hui encore. « C’est un formateur fabuleux qui dirige le centre depuis cinq ans. Il a ça dans la peau. Mais il faut voir, surtout, comment nos mômes le regardent avec des yeux brillants. Cela veut tout dire du bien-être, du soutien qu’il leur apporte. »
« ATTACHIANT ! »
Personnage décalé qui lui a valu un jour ce magnifique adjectif de la part de Laurent Munier, le directeur général du club : « Bubu ? Il est, d’abord, attachiant. » Forcément quand on ne répond pas à la norme, les réputations ont vite fait de s’installer. Pas sérieux, pas rigoureux et tellement d’autres injustement affichées dès qu’il a monté son restaurant, « le vestiaire » avec son ami Bernard.
Une réussite totale quand le lieu devient un incontournable de Chambéry et de Challes-les-Eaux. Une autre victoire de Laurent Busselier mais pas celle que l’on imagine. « Je me suis retrouvé dans la vraie vie avec des employés qui venaient me demander une augmentation de cinquante euros. Ca te pique ça te ramène sur terre, ça te met mal à l’aise quand, évidemment, tu restes un privilégié. »
Le statut, pourtant, ne l’a pas poussé à la facilité et incité à se la couler douce. Il a continué de prendre régulièrement la direction de Jean-Jaurès, l’ancienne salle mythique de Chambéry, les convictions pointées vers la jeunesse émergente du centre de formation.
Il est, avec Guillaume Joli à l’époque, l’un des rares pros, à superviser et manager une équipe de gamins. Une voie dans laquelle il a toujours souhaité s’engager. « Ca sautait aux yeux qu’il était passionné par cette mission, se souvient Alain Poncet. Lors des échanges que nous avions, il m’avait fait part de son ambition de diriger un jour le centre de formation. Mais je connaissais le loustic et je l’ai fait durer en lui renouvelant à quatre ou cinq reprises son contrat de joueur d’une année tout en lui répétant : « Bubu, le centre, tu l’auras mais quand tu seras majeur ».
C’était un jeu, une manière de lui faire comprendre qu’il n’était pas encore arrivé à maturité. Mais je savais. Il était déjà le papa, le grand frère, l’entraîneur de tous ces mômes.» Le temps a fait son œuvre adoucissant puis affermissant la personnalité de l’homme. « J’ai, oui, compris qu’il y avait un temps pour tout. »
Pendant cinq ans, il va s’immerger dans le laboratoire savoyard. Un travail de fourmi, de précision avec, toujours, cette curiosité pour dynamiser les groupes qu’il dirige. « Il faut apprendre à connaître tous ces jeunes. Je me suis également creusé la tête parce que dans ce métier il faut éviter que tes joueurs tombent dans la routine. Mais ce boulot-là, je l’ai dans le sang. »
Pas étonnant, alors, qu’il ait hésité il y a quinze jours lorsque son président lui a proposé d’intégrer le groupe professionnel en tant qu’adjoint. « Ca l’a interpellé, témoigne Alain Poncet. Je lui ai même proposé de financer sa formation pour obtenir son diplôme d’entraîneur professionnel mais il m’a répondu : « Alain, je ne suis pas sûr que cela m’intéresse. »
ALAIN PONCET : « AVOIR UN MEC COMME LUI, C’EST UN LUXE. »
Ceux qui ont donc cru voir dans sa nomination un parachutage programmé à brève échéance jusqu’au rôle d’entraîneur en chef se sont, évidemment, trompés. S’il s’est engagé avec détermination dans la mission, ce n’est sûrement pas dans cet espoir. « Je ne suis pas là pour prendre la place d’ivica Obrvan. J’en ai parlé clairement avec lui. On échange beaucoup, j’observe, je dirige les séances. Seul l’intérêt collectif me guide. »
L’agité de la vie s’est calmé et posé. Son souci reste plus que jamais de lever le blé. Son bonheur est de constater que six de ses meilleurs grains alimentent l’équipe première. « J’ai toujours fait les choses avec le cœur et le métier d’entraîneur pro est celui d’un vagabond. Je ne suis pas convaincu que cela réponde à mon tempérament. En fait, après dix-huit années passées ici à Chambéry, je suis naturalisé savoyard. J’y suis bien, chez moi sans la moindre envie d’aller découvrir d’autres terres. »
Alain Poncet, a, souvent, redouté ce genre de dénouement et il ne cache pas le fond de sa pensée. « Bubu, c’est un membre important de la famille ici. Avoir un mec comme lui c’est un luxe qui n’a pas de prix. Je n’ai pas envie de le perdre. Un entraîneur pro, aujourd’hui, ne fait plus une carrière de vingt ans dans le même club. Je ne me verrai vraiment pas dans la peau de celui qui devrait, un jour, le remercier. »
Comme Laurent Busselier n’a jamais eu peur d’affronter la vérité et la réalité, il y a peu de risques que le scénario se présente un jour. Il n’a qu’une ambition : faire grandir les autres. Comme une leçon de sport collectif…
Par Laurent MOISSET / LIDL STARLIGUE.
Il en reste pas moins une très grosse perte irremplaçable pour le centre de formation / JP Riboli
Photos : JP Riboli